Tu veux donner du sens à ton argent ? Rejoins la Nef !
_
Non, la décroissance n’a rien à voir avec la caricature de « revenir à la bougie », elle peut être joyeuse, démocratique et surtout elle est déjà en marche.
Voici l'économiste star Timothée Parrique, auteur du livre Ralentir ou Périr sur comment construire une société post-croissance qui améliore réellement nos vies.
SOMMAIRE
01:24 Questions mitraillette
09:29 Le blues de l’économiste
13:49 Le PIB, thermomètre cassé ?
19:12 Mister Punchlines
20:53 380 politiques de décroissances
25:44 Caricature de la décroissance
34:47 Moins de biens, plus de liens
37:45 Anecdotes
__
Merci au sponsor du mois : la coopérative bancaire la Nef !
Découvre leur livret bancaire gratuit qui finance des projets engagés sur t.ly/lanef.
Distribué par Audiomeans. Visitez audiomeans.fr/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.
[00:00:00] Je te quitte, j'en peux plus de tes mensonges, tu finances dans mon dos des trucs qui me font honte, des fabricants d'armes, des énergies fossiles et même du travail d'enfant. Cher livret d'épargne, je mérite mieux que ça. Et justement j'ai rencontré quelqu'un, la NEF, une banque coopérative qui ne finance que des projets écolos, solidaires ou culturels. Elle est transparente et engagée, elle. En quelques minutes j'ai transféré mon épargne sur le livret NEF, pour de vrai. C'est 100% gratuit, sécurisé et maintenant je sais où va mon argent.
[00:00:28] Si vous aussi êtes dans une relation d'épargne toxique, rejoignez la NEF sur t.ly slash épargne ou cliquez sur le lien en description. Bienvenue dans Soif de Sens, l'émission podcast et YouTube qui t'aide à construire une vie, une société pleine de sens. Chaque semaine je ressens un humain inspirant pour t'aider à incarner le changement.
[00:00:53] Aujourd'hui on accueille l'économiste Timothée Parrique pour parler d'alternatives au système capitaliste et de décroissance. Salut Timothée. Salut. Je te présente en 10 secondes, tu es chercheur en économie, auteur du livre Ralentir ou Périr, où tu dénoues notamment que la croissance verte, déjà c'est bullshit, et qu'à l'inverse la décroissance ça n'a rien à voir avec la caricature de revenir à la bougie, qu'on nous bassine,
[00:01:16] et qu'au contraire, déjà qu'on va se la prendre degré haut de force, mais surtout qu'elle peut être joyeuse, démocratique, et même qu'elle est déjà en marche. À l'heure de plonger dans le sujet, je te propose de commencer tranquillement par une série de questions à mitraillettes auxquelles tu dois essayer de répondre le plus vite possible. Ça me va. Ça me va. C'est parti. Tu préfères que tout le monde se convertisse au vélo ou à la sieste ? Ouf. À la sieste. Ça a l'air d'être ton image de barre quand même.
[00:01:46] Imagine si tout le monde avait un meilleur sommeil, à quel point notre capacité, non seulement créative, mais scientifique, aussi culturelle, et notamment démocratique, ça en retrouverait améliorer des gens bien reposés, de bonne humeur. Donc là, je pense que ce serait vraiment un kiff. Je ne sais pas si on pourrait... Enfin, ça devrait être estimé comme ils ont estimé à quel point ça fait gagner de la productivité de faire un peu de sieste, mais à quel point ça pourrait améliorer tout. Enfin, tout en fait.
[00:02:14] Tu aurais moins d'accidents, tu aurais tellement de conflits en moins qui seraient résolus juste par des gens qui ne sont pas en manque de sommeil. De l'époque où je regardais les études scientifiques, il n'y a pas des liens qui sont bulletproof, mais ça tendait quand même à montrer que le sommeil arrange tout. Donc, si tu passes de mal dormir à mieux dormir, en fait, tu n'as pas d'effet négatif.
[00:02:38] Plus le côté, je vais dire, anti-système, ralentir la machine économique, forcément en bossant un peu moins. C'est quoi la chose la plus absurde comptabilisée dans le PIB, qui soi-disant crée de la valeur pour toi ? Sûrement le trafic de drogue. Oui. Si le PIB était une personne, tu lui dirais quoi ? De prendre sa retraite. Tu as 100 ans, Roger.
[00:03:07] C'est bon, tu as déjà donné. Va faire la sieste, va lire des romans. Laisse les indicateurs plus jeunes prendre la relève. Ça fait slogan de Maniche. Le PIB à la sieste. Si tu pouvais changer un truc dans les cours d'économie. Alors, ça serait de commencer les cours d'économie avec une vision plus large, c'est-à-dire au lieu de commencer directement l'économie, c'est la sphère monétaire de la production,
[00:03:35] de l'échange et de la consommation, de se dire l'économie, en fait, elle fait partie d'un système plus large, on pourrait dire l'économie du vivant, on pourrait dire le monde du vivant tout court. Donc, de comprendre que l'économie, c'est un petit peu une sous-catégorie de la biosphère. On va dire une économie sous-catégorie des sociétés humaines, de l'organisation humaine, elle-même une sous-catégorie de la biosphère. Ok. Ce serait quoi un truc capitaliste qui te manquera dans une société sobre ?
[00:04:04] Typiquement, moi je sais que le chocolat, voilà. Alors, un truc capitaliste qui me manquera, je ne sais pas parce que, et on y reviendra sûrement, mais le capitalisme, c'est plus une mentalité de production et d'organisation économique. Donc, le chocolat, par exemple, je pense que c'est possible d'organiser la production et la consommation de chocolat dans un modèle économique non capitaliste. Ok.
[00:04:32] Alors, bien sûr, je ne pense pas que ce soit possible de l'organiser au volume actuel et surtout avec la distribution actuelle, de pouvoir faire traverser au chocolat la moitié de la planète et d'avoir un chocolat si peu cher parce qu'il résulte de l'exploitation de personnes qui travaillent pour de très faibles salaires dans des pays en développement qui auraient des choses beaucoup plus intéressantes à faire que nous exporter les choses dont on a besoin pour faire du chocolat.
[00:04:59] Mais là, tu vas me dire, tu évites complètement ma question. Moi, je suis quand même passionné de sport extrême et donc, on pourrait dire peut-être du matériel, un petit peu de pointe qu'on utilise quand on fait du kayak, de l'escalade, du vélo, mais même ça. Et je pense que Patagonia en est le meilleur exemple. On ne va pas dire que Patagonia est le meilleur exemple d'une utopie post-capitaliste, mais ce n'est quand même pas l'entreprise la plus capitaliste.
[00:05:25] Et Patagonia a quand même commencé justement par créer un équipement d'escalade à l'époque où il n'y en avait pas, de la même manière que les premières marques de surf ont fait la même chose. Et ensuite, je pense que ça s'est retrouvé marchandisé et ça s'est retrouvé plus capitalo-centré. Je pense que ce qui va me manquer véritablement en tant qu'économiste, c'est les crises financières. Parce que ça, c'est quand même assez fun à étudier. Alors, bien sûr, c'est tragique dans la réalité, mais ça fait vraiment film d'action.
[00:05:52] Je pense que quand on se sera débarrassé du système capitaliste, être économiste, ça va devenir tellement chiant. Parce que quand tu n'as plus de bourse, quand tu n'as plus de richesses extrêmes, d'inégalités, de guerre économique, bon, là, tout de suite, être économiste, ça va être un petit peu plus... Ta série Netflix, elle est moins fun. Ouais, voilà. Donc ça, ça va nous manquer, mais je pense qu'on se sacrifie pour le bien commun.
[00:06:20] Oui, puis tu auras quelques crises sur lesquelles te délecter dans les années à venir, je pense. Ce que j'aime bien dans ce que tu dis, à demi-mot, c'est qu'on a souvent une caricature très binaire de soit le capitalisme, soit un truc très extrême, décroissant. Et déjà, là, tu le dis en filigrane que, en fait, non, tu as tout un éventail entre les deux et d'autres choses à imaginer qu'on n'est pas forcément, type Patagonia ou plein d'autres choses. Déjà, n'écoutez pas cet épisode en vous disant, soit on est dans le système capitaliste
[00:06:49] actuel, soit on est dans un truc ultra opposé, limite communiste, enfin, je ne sais pas ce que vous pouvez avoir en tête, s'éclairer à la bougie, tout ça, tout ça, quoi. Moi, j'aime bien l'approche des sociologues de l'économie qui ont une approche beaucoup plus ancrée dans la réalité sociale. C'est-à-dire qu'ils imaginent ta journée, tu vas passer ta journée dans différentes sphères économiques. Tu te réveilles, tu es chez toi, tu utilises des choses que tu as achetées, tu utilises des choses aussi qu'on t'a données d'une certaine manière
[00:07:18] ou des choses qu'on t'a prêtées si tu es dans un logement social, par exemple, si tu reçois des aides monétaires. Ensuite, tu vas peut-être aller à la boulangerie, dans ta petite boulangerie de quartier ou aller chercher ton panier de légumes à la map du coin. Ensuite, ou peut-être tu vas te retrouver dans un supermarché. Ensuite, tu vas aller travailler. Ensuite, tu vas peut-être acheter un truc sur Internet. Pour aller travailler, tu vas peut-être utiliser un métro, un tram, un service public. Tu vas peut-être marcher aussi dans une forêt. Toutes ces choses-là, à chaque fois, tu
[00:07:48] entres dans des sphères économiques qui ont différentes mentalités et il y en a qui sont plus capitalo-centrées que d'autres. Typiquement, tu peux, dans la même journée, en allant chercher ta fille à la crèche autogérée du coin, qui est une institution très peu capitalo-centrée, donc une initiative, on pourrait dire, post-capitaliste. Tu fais ça le matin, tu déposes ta fille à la crèche autogérée pour ensuite aller travailler au département marketing de Chanel ou dans une entreprise du CAC 40 où là, tu arrives
[00:08:15] dans un point, l'un des points les plus dans le spectre, le plus capitalo-centré de notre économie actuelle. Et ce qui fait la différence entre deux systèmes économiques, donc quand on parle de système, c'est l'économie dans sa totalité, c'est une sorte de relation entre ces initiatives, lesquelles elles sont majoritaires ou lesquelles elles sont minoritaires. Donc si, on va dire des 40 actions économiques que tu fais en une journée, il y en a 35 qui se passent dans une sphère très capitalo-centrée, ça a du sens de dire
[00:08:44] que nous habitons dans une économie capitaliste. Alors que si on n'avait qu'une, par exemple, si on revenait avant le développement du capitalisme, donc si tu revenais au 17e ou au 16e siècle, dans une économie féodale, en fait, il n'y aurait aucune de tes activités quotidiennes qui seraient organisées selon la mentalité du capitalisme. Donc tu ne serais pas dans une économie capitaliste, tu serais dans une économie féodale. Deux siècles après, ça a changé et peut-être dans dix jours, dans cinq ans, dans deux siècles. Et
[00:09:13] bien pareil, en fait, le changement de mode d'organisation fera que on ne sera plus vraiment dans une économie capitaliste. Il y aurait eu un basculement d'un système à l'autre. Mettez-vous une alarme pour dans dix jours ? Tu as écrit une thèse sur la décroissance qui a été téléchargée 70 000 fois. Déjà, chapeau ! C'est trop bien de rendre ça accessible au grand public. Tu peux nous raconter comment tu as longtemps cru qu'on pouvait verdir l'économie, qu'on pouvait garder une planète habitable sans changer de système économique, avant de plonger
[00:09:43] dans les rapports, les stats, les modèles, etc. et de voir que, en fait, non, les calculs sont pas bons. Mais quand tu étudies l'économie, c'est une hypothèse de départ. C'est-à-dire qu'on t'apprend qu'une économie, tu as une fonction de production avec deux facteurs, le capital et le travail. Et donc, mathématiquement, on comprend bien que dans ce facteur que l'on appelle capital, tu as différentes choses qui peuvent être substituées l'une pour l'autre.
[00:10:08] Donc, tu as du capital manufacturé, genre une usine, des outils. Tu as du capital humain, de la connaissance et tu as du capital social, capital financier, de l'argent, du capital naturel, de la nature, de l'énergie. Et bon, on comprend bien. En tout cas, dans une fonction de production classique, celle que tu apprends quand tu es en licence ou même en master, si tu détruis une forêt, ce n'est pas grave, tu perds un peu de capital naturel. Mais si,
[00:10:35] en détruisant cette forêt, tu gagnes de l'argent, tu as de l'argent, donc tu as du capital financier qui vient justement contrebalancer la perte de la forêt. Et donc, avec ces fonctions, ça te donne l'impression en fait que l'économie, elle peut sans cesse continuer à produire à partir du moment où tu peux remplacer un capital par un autre. Et si dans le lot, tu as par exemple
[00:11:00] l'ingéniosité humaine, donc les compétences, le capital humain ou quoi, et que ça, ces idées peuvent se substituer à des agrégats réels comme l'énergie et les matériaux, comme un petit peu dans les théories qu'on entend un peu bébêtes de première approche, de se dire ah bah tiens, l'économie, elle peut être dématérialisée parce que dès qu'on a une limite écologique, eh bien, il va y avoir un petit génie qui va trouver une solution technologique. Et là, on arrive assez facilement à se convaincre que les limites écologiques, en fait, elles peuvent
[00:11:29] être dépassées par le progrès technique. Mais moi, je lisais Hermann Daly quand j'étais étudiant en master, donc l'esprit critique s'est réveillé assez tard dans ma carrière, j'en ai honte, mais c'est le cas. Et Hermann Daly, je me suis rattrapé, avait cette super analogie où il expliquait, voilà, t'essaies de faire des pizzas et si d'un coup, t'as plus de farine et d'ingrédients, mais que je te donne cinq fois plus de fours, eh bien, tu vas pas
[00:11:56] pouvoir faire des pizzas. En fait, si t'as plus de farine, tu peux plus faire des pizzas, indépendamment du nombre de cuisiniers ou du nombre de fours. Et donc, ce qu'il expliquait Hermann Daly dans ses théories, à partir des années 70 déjà, c'était qu'il y avait des capitaux qui n'étaient pas substituables. En gros, il expliquait qu'on ne peut pas produire à partir du rien. Et donc, si tu veux construire un bâtiment, tu peux changer un matériau pour un autre, mais tu peux pas construire un bâtiment sans matériau ou sans
[00:12:22] mobiliser d'énergie. C'est un fait. Et donc, c'est vrai qu'à partir du moment où moi, j'ai réalisé ça, je me suis dit, ah bah tiens, c'est intéressant quand même de venir regarder le lien entre la croissance d'une économie, la croissance macroéconomique sur le long terme et l'utilisation des ressources naturelles. Donc, l'extraction des ressources naturelles et bien sûr, les pollutions locales et globales liées à l'utilisation de ces
[00:12:47] ressources naturelles. Et quand on creuse un petit peu, on arrive assez facilement à réaliser que l'hypothèse d'une économie qui se dématérialise et qui arrive à croître à jamais sans avoir aucun impact sur l'environnement, en fait, elle n'a aucune preuve scientifique. Les économies qui ont fait l'expérience de la croissance, donc les économies qui ont
[00:13:14] aujourd'hui un fort PIB, ce qu'on appelle les pays en revenus, les pays riches. Moi, j'aime bien les appeler les pays déjà riches pour indiquer une espèce de seuil à partir duquel tu es arrivé à maturité. Mais en fait, ces pays ont construit leur économie avec des décennies de croissance et des empreintes écologiques qui sont aujourd'hui monstrueuses. Des empreintes matérielles, des empreintes eau, des empreintes sol, des effets sur la biodiversité, des effets sur le changement climatique à travers les émissions de gaz à effet de serre. Et donc,
[00:13:43] malheureusement, ces économies aujourd'hui, elles sont tout sauf dématérialisées. Ok. En parallèle, l'objectif unique de toute notre société, c'est le PIB, la croissance, donc produire plus, vendre plus. Sauf que non seulement le PIB valorise la vente de produits inutiles, voire dangereux, je ne sais pas, des pesticides qui donnent le cancer, mais ça permet derrière de te vendre des médogues, donc ça aussi, ça augmente le PIB. En plus, tu dis, le PIB, ça mesure le bruit, pas le bonheur. Vendre une pizza industrielle,
[00:14:11] ça augmente le PIB, alors qu'un repas de famille, non. Pour toi, en quoi le PIB, c'est un thermomètre cassé ? Et comment on a pu laisser la société s'organiser autour de ce seul indicateur monétaire ? Alors, la première question est plus facile que la deuxième. Le PIB, c'est vraiment un indicateur partiel, c'est-à-dire que, oui, tu l'as bien dit, c'est un indicateur d'agitation monétaire, donc il regarde un peu, c'est le contour de l'économie, ou un espèce de
[00:14:39] podomètre monétaire qui va calculer combien de pas tu fais par jour, mais il ne va pas te dire si tu tournes en rond chez toi comme un con, ou si tu es allé là où tu veux aller d'un point A ou un point B. Alors qu'on pourrait penser que le progrès économique, c'est d'arriver à faire collectivement quelque chose que l'on n'arrivait pas à faire avant. Si on imagine, par exemple, avant l'organisation économique où on était tout seul sur une île déserte à se faire la guerre, et aucun d'entre nous n'arrivait à, je ne sais pas,
[00:15:05] produire un papier, de la nourriture, toutes ces choses-là. Et d'un coup, on s'est organisé collectivement, on a divisé un petit peu le travail, on s'est spécialisé. Et là, tout d'un coup, on peut produire des stylos, du papier, des livres. C'est trop bien. En fait, on est arrivé à un point B qui est meilleur en qualité, en termes de qualité de vie, que le point A. Le PIB, il ne mesure pas ça. Il mesure juste le, j'allais dire,
[00:15:29] le grossissement de ton économie. Donc, en termes de PIB, est-ce que ton économie en compte-tour, ça va tourner vite ? Est-ce que tu vas avoir un volume d'euros qui va voyager au travers de ton économie ? Mais ça ne te dit pas les choses qui sont produites, ça ne te dit pas si ces choses vont te être utilisé par les gens qui en ont besoin. Donc, tu en avais parlé, même des médicaments. Si tu produis énormément de médicaments et
[00:15:55] que tu as un milliardaire qui les achète tous, ça te produit exactement le même PIB que si ces médicaments, en fait, ils sont achetés par toutes les personnes qu'on avait véritablement besoin. Donc là, tu comprends qu'il peut y avoir une décorrélation. Tu me fais des projections sur le futur, là, ça me fait trop peur. Des OPA de riches sur les médicaments. Hashtag vaccin du Covid. Là aussi, il y a eu des études qui montraient que l'accès au vaccin du Covid, principalement au début, ce n'était pas les plus pauvres et potentiellement
[00:16:25] ceux qui en avaient le plus besoin, qui ont eu accès à ces médicaments. Mais on peut bien imaginer, en fait, que la croissance du PIB, en fait, ce n'est pas une garantie d'augmentation de la qualité de vie, si ce n'est que pour cet argument des inégalités. Aujourd'hui, quand tu regardes la croissance en France, donc à peu près un quart du revenu national est approprié par les 10% des plus riches. Et ces 10% des plus riches, on sait
[00:16:52] aussi, ce sont ceux qui possèdent la moitié du patrimoine national, donc de toutes les richesses de l'économie française. Les richesses financières, les richesses immobilières, les richesses, la propriété d'entreprise, donc tout ça, c'est possédé la moitié par les 10%. Donc c'est pour ça qu'ils arrivent, en fait, à travers des mécanismes de rente, à capter un quart du revenu national. Si d'un coup, tu augmentes le revenu national, 2% en un an, tu dis « Ah, trop bien, j'ai de la croissance ! » mais que ça va juste augmenter le revenu
[00:17:21] de ces personnes qui sont déjà les plus éloignées des seuils de pauvreté, et que ces personnes utilisent ces revenus supplémentaires, on va dire, pour faire de l'investissement locatif ou pour investir dans l'extraction des énergies fossiles, ben là, en fait, tu passes d'une croissance économique à une croissance anti-économique qui peut dégrader la qualité de vie. Donc c'est-à-dire que cette croissance, même si ton revenu national est plus important,
[00:17:49] t'as creusé les inégalités, l'investissement locatif va faire pression sur les prix immobiliers et donc va augmenter les dépenses contraintes sur les ménages les plus pauvres qui n'ont pas la possibilité d'être propriétaires de leur logement. Et donc ça, ça va dégrader la qualité de vie pour ces personnes dont la qualité de vie est déjà la plus fragile. Et moi, j'ai du mal qu'on appelle ça du progrès, alors que c'est exactement le contraire. Je veux dire, sur ton tableau Excel, génial, t'as des euros qui augmentent.
[00:18:14] Donc, waouh ! Mais si à côté de ça, la qualité de vie diminue, c'est pas du progrès économique. Je te donne juste un dernier chiffre. Quand tu compares l'espérance de vie moyenne entre le décile supérieur, donc les plus riches, et le décile inférieur en France, t'as 13 ans de différence. Donc, les personnes qui font partie du décile le plus pauvre en France meurent 13 ans en moyenne plus tôt que les plus riches. Et donc, je trouve ça
[00:18:42] assez marrant qu'on se cache derrière des arguments comme quoi, oui, il faut faire grossir l'économie pour améliorer la santé, par exemple. Non ! Si tu veux améliorer la santé, il faut juste faire en sorte que les personnes les plus pauvres aient accès à des médicaments, par exemple. Et ça, la croissance, elle ne va pas te le faire. Ça, c'est plutôt un défi de redistribution des richesses, surtout dans un pays comme la France où le revenu national est largement suffisant pour assurer à toutes et à toutes une qualité de vie décente.
[00:19:11] Ouais. OK. T'es très fort en punchline et en métaphore pour vulgariser. J'ai l'impression que t'es aussi quelqu'un d'assez cash et on en a besoin pour dénoncer les discours capitalistes bullshit. Est-ce que tu peux nous raconter cette anecdote en conférence avec la PDG d'une marque d'eau minérale ? Ah oui, ben c'est... Bon, l'eau minérale, j'étais en conférence et moi, c'est vrai que c'est un produit que je tape souvent dessus. J'ai donc appelé la quintessence de l'unitile
[00:19:38] parce que c'est vrai que l'eau minérale, elle coûte énormément plus cher que l'eau du robinet. Elle est de moindre qualité, elle pollue énormément plus. Les marques d'eau sont possédées par des grands groupes dont les actionnaires sont déjà des gens très riches. Donc, en fait, t'as aucune utilité à voir cette chose-là. Et donc, c'est vrai que pour cette personne qui était PDG d'une grande marque d'eau minérale, la raison d'être même de son entreprise, c'était de faire du profit en vendant des bouteilles
[00:20:03] d'eau. Donc, bien sûr, c'est des entreprises qui essayent de se défendre pour légitimer l'utilité de leur entreprise. Mais là, c'était drôle parce que devant toute une audience de personnes, on voyait bien que cette personne, la PDG, était incapable même de nommer un seul argument pour l'utilité de son entreprise, sauf le « on crée des emplois ». Et moi, on crée des emplois, j'adore. Mon économiste préféré, John Menard Keynes, il disait « si tu veux maintenir le plein emploi, tu payes la moitié des personnes
[00:20:33] à creuser des trous et l'autre moitié à les reboucher. Et comme ça, tout le monde aura un boulot ». Donc là, moi, je veux bien. C'est un épisode de Black Mirror où on emploie des gens à faire des trucs inutiles. D'ailleurs, les entreprises de bouteilles d'eau minérale sont des experts en la matière. Mais encore une fois, je ne trouve pas ça. On n'appelle pas ça du progrès économique. Ouais. Et donc, ta posture de départ, elle est claire. La décroissance, ce n'est pas une opinion, c'est un constat physique. Tu dis « vouloir croître sans limite », ce n'est pas du développement, c'est de la boulimie. Pourtant, il y en a plein qui s'imaginent
[00:21:02] que ce serait un retour en arrière, triste, forcé. Alors que toi, tu montres plutôt que c'est un projet politique désirable, démocratique et joyeux. Tu rappelles qu'il y a plus de 380 politiques de décroissance qui existent déjà. Tu parles souvent de ripère café, de ville sans voiture, de ville lente, sans pub, avec des supermarchés autogérés, voire des transports gratuits. Est-ce que toi, il y a un exemple en particulier qui t'inspire beaucoup de politiques de décroissance dont tu voudrais nous parler ? Je vais choisir la réduction du temps de travail, vu qu'on avait déjà mentionné
[00:21:32] la sieste. Mais on l'oublie souvent. Quand tu as une croissance de l'économie, c'est-à-dire que ton économie va produire et consommer plus. Pour consommer plus, il faut la plupart du temps avoir salaire qui va avec pour avoir le pouvoir d'achat. Le salaire, pour la plupart des gens, il vient du travail. Et bien sûr, pour qu'il y ait des choses à consommer, il faut qu'elles soient produites avec des matériaux qui ont été extraits et déplacés. Et donc, ça, ça demande quand même du travail. Et donc, l'avantage de se dire, tiens, si on arrive à simplifier nos besoins et vivre au moins aussi bien avec moins de biens et
[00:22:01] services, c'est qu'on peut se permettre macroéconomiquement de moins travailler. Et ça, c'est quand même vachement excitant. Donc, de se dire, tiens, moins travailler, c'est libérer du temps libre pour des choses qui peuvent être productives. Tu peux rénover chez toi, repeindre ton appartement, passer du temps avec tes enfants, mais aussi créer une chorale, organiser un petit peu la vie politique de ton quartier. C'est des choses qui sont très importantes en économie. On appelle ça la sphère de la reproduction sociale. C'est aussi un temps que tu peux prendre pour toi, pour juste un temps non
[00:22:31] économique. Donc, cette politique de réduction du temps de travail, ce n'est pas seulement une politique d'adaptation, de se dire, tiens, il y a des secteurs qui vont être en contraction et donc, si on répartit un peu plus équitablement le temps de travail, ça permet d'éviter que des gens se retrouvent au chômage trop brutalement. Mais c'est aussi un objectif en lui-même de se dire, tiens, une économie performante, c'est une économie qui arrive à libérer du temps de travail chaque année. Je n'ai pas trop. Mais oui, au lieu de te dire comment gagner plus, gagner plus,
[00:22:57] de te dire, ok, si en fait je pouvais dépenser 200 euros de moins par mois, est-ce que je ne pourrais pas bosser X heures, jours de moins ? Au niveau national, il y a plein de pays qui ont décidé de s'ouvrir à d'autres indicateurs que... Bon, moi je dis PIB, mais je ne sais pas s'il y a des gens qui ont dit PIB ou PIB ? Les deux. D'accord, ok. C'est là que j'avais un doute. Ou des pays qui ont pris des décisions fortes, comme l'Équateur ou la Bolivie, qui reconnaissent la nature comme un sujet de droit, ou la Nouvelle-Zélande qui s'émancipe du PIB avec des budgets bien-être. Est-ce
[00:23:26] que tu peux nous en dire plus sur ces exemples qui pourraient nous inspirer ? Alors la Nouvelle-Zélande en 2019, donc avec ses budgets bien-être, on appelle ça un tableau de bord parce que tu as 65 indicateurs de nature différentes, sociales, culturelles, politiques, écologiques, qui se côtoient. Donc ça te permet de faire des analyses multicritères quand tu évalues des politiques publiques, de dire, ah bah tiens, si on autorise, je sais pas, la construction de cette autoroute, même si j'espère que les Néo-Zélandais
[00:23:53] ne sont pas bloqués avec des décisions, des débats aussi rétrogrades que nous en France. Mais bref, qu'est-ce que ça va être l'impact sur l'emploi, sur la biodiversité, sur le temps libre, sur le revenu disponible, déménage les plus riches, déménage les plus pauvres ? Et en fait, cette analyse multicritère, en gros, elle te dit, est-ce que construire une nouvelle autoroute va augmenter le bien-être en Nouvelle-Zélande ? Toutes les politiques là-bas doivent passer à travers ce film ?
[00:24:18] Alors, je sais pas si, en théorie, je pense pas qu'elles le sont, en tout cas c'était l'idée derrière la création de cet indicateur en 2019, c'est de se dire, on accorde trop d'importance au PIB et aux indicateurs financiers, que ce soit le pouvoir d'achat pour les ménages ou les profits pour les entreprises, il faudrait créer un nouveau récit de prospérité qui ne soit plus basé que sur des indicateurs financiers. Ça, on en a beaucoup des indicateurs
[00:24:48] depuis au moins le début des années 70, mais c'est vrai qu'ils sont peu utilisés et quand ils existent, et à mon avis, c'est le cas de la Nouvelle-Zélande aussi, qui fait beaucoup de publicité sur ces budgets bien-être, mais je pense qu'en politique interne, ça doit être beaucoup plus compliqué de le faire valoir en pratique. Et bien, même si ces indicateurs existent, on a du mal à leur donner de l'importance et on les considère toujours comme un peu des indicateurs périphériques. D'ailleurs, on appelle ça des comptes satellites, ça en dit beaucoup. C'est vraiment un satellite qui tourne les comptes
[00:25:15] environnementaux. La comptabilité environnementale, c'est un compte satellite du PIB. C'est un truc qui tourne autour, ce qui est un petit peu marrant, comme si la nature tournait autour de l'économie, alors que comme je l'ai dit au début, c'est plutôt l'économie qui ne tournerait pas du tout sans nature. C'est plutôt l'économie qui devrait être vue comme une toute petite succursale, genre vraiment une petite cave, le petit parking de l'économie de la nature.
[00:25:44] Et aujourd'hui, toute critique du système capitaliste est... Peut-être pas toute, mais une bonne partie sont déformées, décrédibilisées, que soit par le média ou les gouvernements. On a vu les amiches, les écoloterroristes, je parlais du retour à la bougie, etc. Toi, je pense que tu t'en prends plein la gueule en étant tête de figure du mouvement décroissant. Mais moi, je n'y crois pas à deux secondes qui pensent vraiment ça. Pour moi, c'est assez smart, en fait. C'est tout simplement
[00:26:11] une stratégie de caricaturer la décroissance parce que le jeu capitaliste actuel permet à une oligarchie de gagner un max d'argent et de pouvoir. Donc, la meilleure défense, c'est l'attaque. Est-ce que tu penses que les détracteurs de la décroissance, ils croient vraiment que c'est un retour à la préhistoire, etc. Et ils sont aveugles aux limites planétaires ou juste ils sont malins et décrédibilisent tout alternatif ? Je pense qu'il y a les deux. Là, la semaine dernière, j'étais à Bruxelles
[00:26:40] pour le Bruxelles Economic Forum, qui est un événement de la Commission européenne, où là, je me retrouvais à débattre avec un panel de personnes, dont une ministre belge. Et je ne parlais pas véritablement de décroissance, j'ai juste une petite liste en disant que si l'on voulait véritablement revenir sous le seuil des limites planétaires, il allait falloir considérer des politiques de sobriété, de minimalisme, de redirection écologique. Donc, j'avais cette grande liste et c'est vrai que j'ai calé décroissance dedans, comme ça, presque involontairement, parce que c'est vrai que c'est
[00:27:09] l'un des concepts qui est discuté académiquement dans cette grande sphère un petit peu de la suffisance, de la sobriété, du minimalisme. Et là, la réaction de cette ministre belge, tout de suite, ah oui, non mais si vous voulez faire comme la Corée du Nord, grand bien vous fasse. Vraiment, c'est le premier commentaire qui est sorti de son cerveau. Donc moi, je trouve ça bizarre quand même, parce que c'est une association qui est folle. Donc là, tu as un scientifique spécialisé dans l'étude de l'interaction entre l'économie et l'environnement,
[00:27:36] qui t'apporte des études pour te montrer que le lien en fait entre la croissance économique et l'empreinte écologique, il est assez coriace. Et donc, d'expliquer quelque chose qui tombe sous le sens, de dire bon ben voilà, si l'on veut véritablement réduire l'empreinte écologique, il va falloir de manière sélective produire et consommer moins de ces biens et services qui alourdissent notre empreinte écologique. Et quitte à le faire, vu que nous sommes une espèce quand
[00:28:02] même intelligente, autant s'organiser collectivement pour que ça se fasse de manière démocratique, dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être, parce que nous ne sommes pas des barbares. Donc, t'expliques ça de manière assez quand même élaborée, conceptuellement, appuyée par des sciences. Et là, on te compare avec la Corée du Nord. Donc là, je pense que c'est des gens qui... Moi, quand j'entends ça, je me dis là, il y a deux choses, parce que cette réaction qui était un petit peu à chaud d'une personne, je pense, qui n'avait presque jamais
[00:28:31] entendu parler de décroissance, sont des personnes qui ne savent pas non seulement ce que c'est que la croissance. Donc là, on a cette espèce d'association qui est fausse. Pour eux, la croissance, c'est synonyme de progrès, de modernité, de plein emploi, de qualité des services publics, de puissance géopolitique. Alors que, tu vois, c'est complètement débile. La croissance telle qu'elle existe aujourd'hui, tu boostes du PIB. Si ça gaspille des ressources qui ne seront plus
[00:28:56] ensuite disponibles, par exemple, pour produire des Rafales, des Bâles et des FAMAS, c'est une croissance qui appauvrit ta puissance militaire, d'une certaine manière. Pareil, si c'est une croissance qui se concentre dans des industries où tu as très peu d'emplois, une croissance dont les fruits vont se retrouver, en fait, dans les ménages qui sont déjà riches, c'est une croissance qui va aller à l'encontre de l'éradication de la pauvreté, qui va augmenter tes inégalités et qui ne va pas du
[00:29:21] tout générer des emplois. On peut même d'ailleurs en détruire. Donc là, on comprend et on a quand même des études en économie qui viennent étudier chacun de ces petits points. Mais dans l'imaginaire collectif, c'est vrai qu'on a cette association un petit peu bébête et tu as complètement raison de le dire. Je pense qu'il y a des gens qui, ouvertement, tu pourrais changer le terme. Tu pourrais dire décroissance, tu pourrais dire éco-socialisme, tu pourrais dire « buen vivir », tu pourrais dire « économie du bien-être », tu pourrais dire « économie sociale et solidaire », ils te sortent la même phrase. Et moi, j'ai vu ça non seulement en étudiant
[00:29:49] la généalogie du concept de décroissance depuis les années 70 et surtout depuis son émergence en France au début des années 2000. Et les médias, la plupart des médias, on va dire c'est tout le temps la même chose. En fait, le mot importe peu. C'est dès que tu as un concept qui propose une organisation différente de l'économie, ils sont en mode « c'est du communisme, c'est rétrograde », alors qu'il n'y a en fait aucune marge de manœuvre pour de l'innovation
[00:30:17] macroéconomique, ce qui est quand même paradoxal parce qu'on est censé vivre dans une économie ultra performante en termes d'innovation. Je pense que le mot décroissant, c'est encore plus polarisant que les autres. Mais c'est quand même fou que de plus en plus de monde est d'accord qu'il y a quand même des problèmes dans ce monde capitaliste qui nous fait foncer dans le mur. Mais pour
[00:30:39] autant, dès que quelqu'un évoque la possibilité d'autre chose, tu passes pour un taré. Sachant que c'est la possibilité d'autre chose basée sur des initiatives réellement existantes. On a parlé tout à l'heure des initiatives qui sont très faiblement capitalocentrées. Par exemple, on va parler de rationnement, un autre terme vraiment pas du tout controversé.
[00:31:06] Les gens, tu parles de rationnement, tout de suite, ils imaginent une distribution collective des chaussettes comme ça en place publique comme dans Hunger Games. Ce n'est pas ça. Les organes en France sont rationnés. On a un système de dons d'organes assez élaboré qui permet de matcher l'offre d'organes avec la demande d'organes de la manière la plus juste possible. Donc voilà, il y a une priorité pour les enfants, il y a une priorité pour les gens qui vont mourir s'ils n'ont pas de dons d'organes vis-à-vis
[00:31:35] des gens qui peuvent attendre d'avoir un don d'organes. Et là, si je te disais d'un coup, ça c'est du rationnement, c'est une idéologie politique, tu sais quoi, on va créer un marché de l'organes et on va les vendre aux enchères. Là, je pense que les gens diraient ben non, on ne va pas vendre les organes aux enchères, c'est débile. Et donc je me dis, c'est marrant, mais par exemple, on rationne de la même manière le carbone aujourd'hui ou les Ferrari ou l'accès au logement avec un mécanisme
[00:32:01] d'enchère. Et les gens se disent, quand on propose une alternative, par exemple, de se dire « Ah ben tiens, si on organisait une partie du logement, pas avec un mécanisme d'enchère, comme du capitalisme sauvage, mais avec un mécanisme d'attribution, un peu comme le don d'organes, ça s'appelle le logement social. Il y a des listes, il y a des pays d'ailleurs qui le font beaucoup, en Suède notamment. Je pense notamment aussi à la ville de Vienne, qui organise la majorité de son logement avec des mécanismes d'attribution, de rationnement. Personne ne fronce
[00:32:30] les sourcils. On comprend bien que pour un bien et service dans un contexte social particulier, on a plusieurs options d'allocation et on peut décider qu'une est meilleure que l'autre. Je pense qu'on rentre dans le dogme quand on pense que tout doit être géré de la même manière. Donc un dogme qui peut être un dogme néolibéral, capitalocentré, de se dire « Tout devrait être une vente aux enchères ». Et puis voilà, une lutte vraiment darwinienne des plus forts et ceux qui ont le meilleur
[00:32:58] pouvoir d'achat gagneront et c'est comme ça que pour le mieux et ceux qui ont un faible pouvoir d'achat ils vont mourir. Il y a des gens qui ont cette idéologie ou même l'idéologie contraire, qui est une idéologie un petit peu genre soviétique, de se dire « Vous savez quoi, tout devrait être organisé avec une attribution politique, un rationnement vraiment avec un plan macroéconomique ». Donc là on a deux spectres, deux idéologies je pense qui sont complètement obsolètes et ridicules aujourd'hui. On comprend bien qu'il y a des choses qui sont mieux organisées avec des protocoles de rationnement
[00:33:28] on va dire politiques nationaux comme le don d'organes, des choses qui sont mieux organisées avec des marchés, je ne sais pas, l'achat de viennoiseries et de baguettes dans des boulangeries ou l'achat même des chaussettes, des choses qui fonctionnent bien avec du rationnement local au niveau de la ville, je ne sais pas, par exemple le logement, ça c'est quelque chose, et des choses qui fonctionnent bien dans la sphère du don et de la réciprocité, ça c'est des mécanismes de rationnement
[00:33:53] aussi. Donc par exemple l'économie de la famille, tu ne vends pas des services de parentalité à tes enfants qui les achètent aux enchères en compétition avec d'autres parents et encore heureux. C'est quelque chose que l'on fait gratuitement. Et le gratuit ça ne veut pas dire que ça n'a pas de valeur, ça veut dire que c'est une manière sociale d'organiser les choses et que parfois quelque chose qu'on a marchandisé peut gagner à être démarchandisé. On n'a pas encore marchandisé la parentalité,
[00:34:18] donc ça va, mais par exemple les médicaments, les EHPAD, les crèches, la connaissance scientifique, les données personnelles, ça je pense c'est des sphères qu'on a sur-marchandisées, on se rend compte de notre erreur et elles pourraient être mieux organisées avec des mécanismes non marchands. Trop intéressant. Je suis en train d'imaginer ma fille qui sort un billet de 20 euros et non papa, ce soir tu sors, j'ai demandé à la voisine de me garder. Elle le faisait pour moins cher.
[00:34:47] Tu dis moins de biens, plus de liens, et si c'était ça l'abondance, et si on remplacait notre abondance matérielle parfois toxique par une abondance sociale et écologique, en termes de liens, pour toi à quoi ça ressemblerait une société post-croissance GEC ? Alors imaginons une société déjà où on a le temps de faire les choses que l'on veut faire. Donc le contraire de cette situation, c'est ce qu'on appelle en sociologie la pauvreté temporelle,
[00:35:13] c'est quand tu n'as pas le temps de faire toutes ces choses que tu veux faire et donc tu stresses. Tu te fais un peu marcher dessus par ton emploi du temps et on comprend bien que dans une société matérialiste où le bonheur est défini un petit peu socialement comme avoir une grosse voiture, avoir quatre salons, avoir douze maisons de vacances, les gens en fait ils vont se tuer à la tâche pour pouvoir avoir assez de pouvoir d'achat, pour faire compétition avec d'autres gens, pour pouvoir avoir
[00:35:39] accès au logement, à toutes ces choses-là. Ils vont sacrifier une grande partie de leur temps et donc n'auront plus assez de temps pour faire des choses qui au final, et là encore, les études en sociologie, en psychologie et en philosophie sont précieuses pour nous indiquer que les gens, quand ils meurent, les regrets qu'ils ont, c'est jamais de se dire « j'espère que sur ton lit de mort, j'aurais adoré plus travailler ». Oh zut ! Si je pouvais revenir en arrière, j'aurais véritablement voulu contribuer plus au PIB.
[00:36:09] Non, tout le monde dit exactement la même chose indépendamment de ta culture, de ton genre et même de ton niveau de revenu. Si je pouvais refaire, je passerais plus de temps avec mes enfants, j'essaierais de dédier plus de temps à l'amour, j'apprendrais une langue, j'aurais passé plus de temps à parler à mes voisins, j'aurais dédié plus de temps à mes amis. Donc si c'est une réalité anthropologique, que nous sommes des animaux sociaux et on va dire que le bonheur découle
[00:36:37] des liens que l'on a, de la résonance sociale que l'on a avec ses amis, avec ses amoureuses et ses amoureux, avec sa famille, pourquoi est-ce qu'on organise une économie qui vient appauvrir notre budget temporel que l'on dit à ces choses-là ? En fait, c'est bizarre, c'est une économie qui vient aspirer ce temps et l'envoyer autre part. Genre, il prend ton temps précieux que tu pourrais passer avec ta fille et il l'envoie dans le département marketing d'une entreprise du CAC 40 pour faire des pubs pour un produit dont personne n'a besoin.
[00:37:07] C'est ultra chelou d'avoir une économie qui fait ça, ça devrait faire le contraire. L'économie, elle devrait réallouer un temps dans des activités vraiment non essentielles pour les réinvestir dans des activités essentielles. Et aujourd'hui, ce mécanisme de réinvestissement, ça peut prendre la forme d'une certaine décroissance des secteurs les moins essentiels pour libérer du temps libre pour des tâches plus essentielles. Même si elles ne sont pas marchandisées et donc même si elles ne rentrent pas dans le calcul du PIB.
[00:37:33] Oui, que ce soit l'économie de la famille, où tu parlais de bénévolat ou juste de liens sociaux tout simplement, d'entraide ou sociote. Est-ce qu'aujourd'hui, tu es presque un influenceur économiste, on va dire ? Est-ce que tu aurais des anecdotes à nous raconter sur l'impact que ton travail a pu avoir ?
[00:37:57] Alors, bon, moi, tout a commencé avec ma thèse, qui était l'une des, je crois même la première thèse à être défendue dans un département d'économie en France sur la décroissance. Ah ouais, c'était la première ? Oui, mais je ne sais même pas s'il y en a eu d'autres au monde, en fait, dans des départements d'économie, parce que la plupart du temps, les gens qui étudient la décroissance, en fait, ils se cachent à droite, à gauche. S'il y a des gens qui nous écoutent, qui ont défendu des thèses d'économie sur la décroissance dans d'autres universités avant 2019...
[00:38:24] Ah ouais, c'était vraiment pionnier à ce point-là, je me rendais pas compte. Alors, pas au niveau de l'idée, mais au niveau de l'angle, je me rendais pas compte. Bah tiens, essayons de théoriser la décroissance du point de vue économique. Et ça, déjà, ça m'a placé sur une niche un petit peu intéressante, c'est-à-dire qu'avant, les économistes, ils pouvaient juste balayer de la main, de dire, bon, les décroissants, vous êtes des écolos, allez étudier l'économie et on en reparle quand vous êtes sérieux. Mais moi, étant le pur produit d'un département d'économie, enfin, je veux dire, je n'avais étudié que ça,
[00:38:51] et je publie donc une thèse sur la décroissance dans un département d'économie, tu peux pas trop me dire ça. Et donc là, ils se sont retrouvés embêtés. Ils se sont retrouvés embêtés. Et j'ai débattu beaucoup d'économistes ces dernières années, j'ai fait beaucoup de débats, pas à l'écrit et à l'oral. Et à chaque fois, ils étaient vraiment embêtés. Tu vois, ils savaient pas apprendre le truc. Et beaucoup d'avis, il y a un économiste avec qui je discutais, qui me disait avant le débat, il fait, tu sais Timothée, je sais pas pourquoi, j'ai pas encore réussi comment, mais j'ai juste envie de montrer que t'as tort. Et je pense que ça résume bien l'idée.
[00:39:22] Et je me dis, ben là, c'est la définition même de l'idéologie et du dogme. Enfin, je veux dire, moi, si tu me montres que j'ai tort, que ma thèse est falsifiée devant mes yeux, je jubile en tant que scientifique, parce que ça veut dire qu'on apprend quelque chose. Tant que scientifique, on adore un mort-tour. Oui, ça peut aussi remettre une question toute ta carrière et tes croyants. C'est pas grave, moi, je suis pas payé par le lobby de la décroissance. Moi, je suis payé pour écrire des papiers. Mais ça peut être des papiers pour montrer que la décroissance, c'est bien ou la décroissance, c'est mal.
[00:39:50] Dans tous les cas, l'université continuera de me payer pour faire de la recherche. Donc, moi, j'ai plein de petites anecdotes comme ça, où t'as des débats avec des économistes qui partent d'un a priori, comme quoi, en fait, la décroissance, c'est mal. Alors que souvent, je me retrouve avec des gens qui n'ont pas pris le temps de lire la littérature sur le sujet. Donc, c'est un petit peu bizarre. Mais je vais te donner mon anecdote préférée. J'étais invité à Genève récemment. Enfin, j'ai fait une conférence à Genève il y a deux ans. Et là, j'en refaisais une la semaine dernière.
[00:40:19] Et l'une des professeurs qui m'interrogeait il y a deux ans, en fait, à l'époque, avait lu mon livre chez elle et en parlait beaucoup à l'heure du déni avec son mari et sa fille qui avait à l'époque 7 ans. Et donc, sa fille, comme ça, en entendant une fille de 7 ans, Timothée Parique, Timothée Parique-ci, en fait, a nommé son doudou Timothée Parique, tu vois, sans trop savoir qui j'étais. Et non, maintenant, trop mignon, il y a une petite couverture bleue avec deux grands yeux qui s'appelle Timothée Parique pour une fille de 9 ans, quelque part, à Genève. Et je trouve ça absolument trop mignon. Je pense que ça montre bien... Enfin, ça montre rien.
[00:40:50] Je ne vais pas faire un lien pour montrer... Mais ça montre quand même que cette idée de décroissance, elle résonne. C'est-à-dire que même moi, je vais dire la vérité, quand j'ai publié la thèse, je n'étais pas serein dans le sens où j'avais l'impression quand même d'avoir découvert quelque chose de controversé. Et je me dis, la probabilité que j'ai tort est beaucoup plus élevée que la probabilité que tout le monde ait tort en économie. Je me dis, bon, je pense que quand tu es le seul à dire un truc et que tu as tout le reste, tous les gens qui ne sont pas d'accord avec toi, la plupart du temps, c'est que tu as tort. Donc, je me dis, bon, ce n'est pas grave quand même.
[00:41:19] J'essaie de développer l'argument de la manière la plus solide possible. Et puis, si c'est falsifié, tant mieux, au moins, on aura testé le truc, on aura appris. Le fait qu'elle n'ait pas été falsifiée, ni la thèse, mais le fait que j'ai aussi publié un livre qui a super bien marché, qui a bien voyagé, qui s'est fait traduire en 10 langues et tout, et que je n'ai pas eu vraiment une seule réponse critique pour montrer, voilà, voici l'erreur, voici l'erreur, c'est faux, c'est faux, c'est faux, c'est faux. Bon, ça montre bien qu'il y a une part de vérité, non seulement une part de vérité académique, mais aussi une part qui résonne avec l'expérience interne
[00:41:49] de beaucoup de gens qui ne font pas de théorie économique, mais qui se disent, ça, tu vois, ça me parle. Et donc, ça, ça montre que peut-être les théories économiques qu'on apprend à l'université, elles sont déconnectées d'une réalité où aujourd'hui, les gens se rendent compte qu'il y a quelque chose de fondamentalement insoutenable socialement, écologiquement, avec cette idée d'une croissance exponentielle qui nous forcerait à produire et consommer plus, même si ça vient gaspiller nos ressources humaines et naturelles sans pour autant faire augmenter notre qualité de vie.
[00:42:19] C'est trop bien. Je vais aller écouter toutes les vidéos de une heure que tu fais sur YouTube, ça me donnera envie de t'écouter davantage. Pour finir, pourquoi, toi, ça te tient à cœur de faire tout ça ? Alors moi, ça me tient à cœur parce que j'adore lire et écrire des livres, principalement. Donc, si je faisais un autre sujet, je pense que mon utilisation, comme disent les économistes, mon niveau individuel de bonheur en serait inchangé. C'est-à-dire que je pense
[00:42:48] que les gens comprennent mal que moi, si j'avais écrit, par exemple, un livre sur la croissance verte, j'aurais autant jubilé à l'écrire qu'un livre sur la décroissance. Parce que moi, ce qui m'intéresse, c'est l'exploration du réel. C'est vraiment la science dans son... la méthode scientifique et essayer de répondre à des grandes questions de recherche intéressantes sur l'origine des richesses, de la valeur, sur les mécanismes de prix, sur les mystères de la production et des comportements de consommation. Tout ça, ça m'intéresse grandement. Et donc ça, ça me fait jubiler. Ce qui contrebalance
[00:43:18] un petit peu, bien sûr, la dose abondante de mauvaises nouvelles que tu reçois sur ton bureau quand tu es spécialiste de l'environnement ou tu es un petit peu, en fait, tu es spécialiste de la fin du monde en pleine fin du monde. Donc ça, c'est pas ouf. Tu vois, c'est un petit peu, tu es dans un train ou dans un genre de voiture pendant un accident de voiture et tu es spécialiste des accidents de voiture. Donc tu es là, je sais exactement ce qui m'arrive. En fait, je suis spécialiste. Donc ça a mal terminé, je l'avais prédit, je vous avais tous dit. Mais bon, maintenant qu'on est là, autant que je vous fasse un petit scénario
[00:43:48] pour montrer comment on va douiller. Donc c'est à la fois très excitant scientifiquement parce qu'on invente des nouveaux concepts, on découvre des nouveaux pans entiers de la réalité économique et sociale qu'on ne connaissait pas avant. Mais c'est aussi un petit peu déprimant parce que ce que l'on découvre nous inquiète, on va dire ça. C'est inquiétant. c'est d'autant plus utile. Malheureusement, mon rêve, parce qu'en plus, l'économie,
[00:44:17] ce n'est pas ma discipline préférée. Moi, dans un monde, véritablement, s'il n'y avait pas eu de changement climatique, pas de crise de la biodiversité, pas de crise financière, moi, je ne serais jamais devenu économiste. Déjà, j'aurais préféré être sociologue et ensuite, vraiment, si on était dans une société absolument, une utopie parfaite, j'aurais jamais fait des sciences sociales. L'étude des humains, j'aurais étudié les animaux déjà, j'aurais été spécialiste des requins, des dauphins, des fourmis. Je trouve ça infiniment plus intéressant d'étudier des espèces très anciennes plutôt que
[00:44:46] nous autres primates. Assez peu intéressants en somme. Et ensuite, je pense que j'aurais plutôt même dédié ma carrière académique à faire des sciences abstraites, que ce soit de la physique fondamentale, des mathématiques, de la linguistique, enfin, des choses que je trouve beaucoup plus excitantes en termes de défis scientifiques que juste d'essayer de comprendre comment convaincre les gens de produire et consommer moins. Mais bon, je me serais senti coupable de faire un truc quand même peut-être pas des plus urgents, mais il faut comprendre
[00:45:16] que moi, je ne suis pas dans une vendetta idéologique pour vraiment vendre un truc. Encore une fois, moi, ce qui m'intéresse juste, c'est répondre à des questions, essayer de faire en sorte et bien sûr de débunker des réponses que je trouve fausses. C'est comme ça que la science avance et en économie, c'est vrai que c'est un terrain de jeu assez amusant parce que tu as énormément de ce qu'on appelle des théories zombies. C'est vrai, des théories qui sont scientifiquement mortes mais qui restent en vie politiquement. Genre la théorie du ruissellement, comme quoi quand les plus riches s'enrichissent
[00:45:46] et ça vient ruisseler dans les poches des pauvres. La théorie de la croissance verte, la théorie de l'efficience des marchés, enfin, tous ces trucs-là qui continuent d'exister. Donc, c'est quand même assez fun de faire le mercenaire intellectuel et d'aller les dézinguer quand on croise dans les débats politiques. Mais c'est quand même assez répétitif. J'espère ne pas faire ça toute ma carrière. Merci, Timothée. Merci de m'avoir invité. C'était chouette. Ouais, grave. Je vous invite à le suivre sur LinkedIn et évidemment, à lire son livre Ralentir ou Périr.
[00:46:15] Si tu veux plus d'épisodes avec des humains qui montrent qu'un autre monde est possible, abonne-toi. Ça m'aide énormément. Ciao, Timothée. Ciao, tout le monde. A l'île, à l'île.